Du plaisir à la révélation, du son à la vibration

Tout l’Univers est constitué d’énergie et de matière. La vibration est la manifestation première du Vivant. Elle peut prendre la forme de lumière, de sons. A travers la matière de la chair, notre corps-vaisseau cathédrale sert de caisse de résonance pour faire sonner la vibration qui émane du tréfonds de notre être. Ce voyage du son est une odyssée de la révélation.

L’émission vocale en tant que chant n’est que l’aboutissement de la formation du son depuis nos celulles, à travers nos différents diaphragmes (périnée, diaphragme du plexus, cordes vocales). Cette trajectoire éminemment charnelle provoque des sensations directes et pures. Cette trajectoire se dirige de façon ascensionnelle vers la bouche, dernier rempart avant l’oralisation. Le mouvement du bas vers le haut n’est pas sans rappeler le mouvement de transcendance que tous les êtres ont cherché à manifester à travers les âges pour se rapprocher de Dieu, de la source de Vie, de l’absolu. La trajectoire du son dans nos coeurps relève donc à la fois d’une transformation somatique et spirituelle.

Dès lors, et de tout temps, le chant se redessine constamment à travers deux aspects indissociables et nourris l’un de l’autre : le plaisir & la révélation.

Pourquoi avons-nous peur de notre Voix ?

Instrument le plus intime qui soit, notre Voix est une porte d’accès sur le monde et sur l’infini… voilà pourquoi, je crois, nous pressentons qu’elle peut beaucoup pour nous. Voilà pourquoi nous nous retrouvons parfois tiraillés entre l’envie de laisser chanter tout notre être tout en étant pétrifier de n’être que nous, rien de plus!

Dans une Voix se révèle tout un Univers, toutes nos facettes, profondes comme superficielles. La Voix est à la fois un signal, un miroir, un canal de communication. Nous avons tantôt peur de sonner faux, tantôt d’être trahi par son imperfection, par l’émotion que suscite l’audition de notre propre son.

Cette peur viscérale tout autant qu’ancestrale, c’est cette d’être révélé au monde tout autant que ne jamais accéder à la révélation du Tout. C’est aussi une peur bien identifiable pour les personnes qui souffrent d’un manque d’estime d’elles-mêmes, ou qui portent un stress post-traumatique. Les comportements décrits comme de l’évitement, ou encore l’autosabotage, sont souvent associés à une voix qui se fait peu entendre… être discret, ne pas se faire entendre, c’est éviter de réactiver le trauma. C’est se couper du plaisir de peur qu’il soit dangereux ou qu’il soit fugace.

Dès lors, vous comprenez que vous autoriser à chanter librement peut être un acte à la fois très simple comme très chargé émotionnellement.

L’approche corps.voix.mots à travers la pratique du Bodyvoice flow permet d’expérimenter son corps et sa voix dans un cadre sécure et bienveillant, et dans un esprit ludique facilitant l’exploration des sensations et du son. Sans entrer dans la verbalisation, sans avoir à revenir à des souvenirs anciens, nous redécouvrons comment construire ici et maintenant dans notre corps cette sécurité intérieure nécessaire pour refaire grandir la joie d’être librement soi. 

Goûter des bribes d’extase

Heureusement le plaisir est là pour se familiariser avec l’extase par une approche douce et consciente… le chemin de la vocalisation est à mon sens un chemin de renaissance. Chaque occasion de pratiquer la reliance corps.voix.mots est permet également la réactivation du processus de délivrance. Nous sommes à la fois enfantant et enfantés par notre Voix. Si la Voix n’était qu’un instrument-objet de plus, nous n’aurions pas accès à cette gamme infinie de sensations subtiles ou franches à travers le corps et le coeur (dans cette alliance que je nomme le coeurps).

Rappelons-nous qu’au cours de l’histoire de l’humanité, le chant a souvent été interdit en dehors de sa stricte utilisation religieuse. Le divertissement pur, le plaisir des sens par le chant, ont longtemps été censurés et hélas cela demeure vrai pour certaines d’entre nous dans certains pays. Ce n’est pas pour rien : l’humain avait déjà pressenti et aussi ressenti, que chanter met en branle tout notre corps et peut donc mener à un véritable orgasme. Les Voies du divin n’étaient pas impénétrables puisque nous pouvions déjà être pénétrés par notre propre Voix pour accéder à une forme d’extase en dehors de tout dogme. Quid alors du devoir de silence du corps, de la soumission à une autorité suprême invisible? Quid de la souffrance nécessaire, exigée avant d’atteindre une quelconque élévation? Le chant est un en-je(u) qui continue de nous travailler. Nos blessures intimes peuvent être si réprimées que notre Voix ne parvient plus à sonner librement. Nous avons perdu la Voie de notre Voix, même si nous demeurons capables d’étudier le chant comme discipline sérieuse, ou comme pur divertissement. Mais le chant de l’âme, le miroir de l’être profond, ne peut se réactiver qu’à travers la porte du pur plaisir élévateur.

Quand avez-vous fredonné librement pour la dernière fois ?

Quand avez-vous arrêté d’être spontané dans votre vie ?

Quand la vibration répare et révèle

Le remède et le chemin pour transcender la souffrance peut se trouve dans la vibration du son. Bien sûr, les mots peuvent aider. La poésie est la base même de nombreux courants mystiques, y associant souvent la Voie du chant. La mutation du plaisir en révélation ne se fait pas en une fois ni de façon si nette. Détaché du petit moi qui souhaite apparaître plutôt que de laisser la Voix circuler et résonner sans entraves, ni jugements, ni recherche d’aucun but, l’être accède par petites touches douces et puissantes à sa « vraie » Voix qui n’est que la manifestation du divin à travers l’instrument du coeurps. Comprendre cela est relativement aisé. En faire l’expérience n’est pas si compliqué, à condition qu’on ne s’enlise pas dans une quête mentale dirigé par la volonté pure. Se laisser agir, se laisser voiser, se laisser chanter : voilà la direction à envisager.

Le passage du chant en paroles au chant en vibration est l’occasion de se détacher de la forme. A travers la note dénuée de signification, l’émotion peut se libérer pour se transmuter. C’est une véritable opération alchimique qui commence dans le creuset de nos entrailles et requiert notre structure osseuse, tout autant que nos muscles, ainsi que la présence de l’air autour de nous et du feu de notre coeur. Tous les éléments sont naturellement des opérateurs facilitant la renaissance de notre Voix.

Est-ce qu’il faut un entraînement particulier pour accéder à cette sensation de révélation?

Est-ce qu’une pratique spirituelle assidue, ou un cours de chant classique ne suffisent pas pour ressentir cela?

La Voie de la révélation par le plaisir de la Voix n’est pas un entraînement mais l’expérience humble, joyeuse, renouvelée patiemment, de tous ces micro instants fugaces où je sens que tout est juste en moi et autour de moi. Pratiquement, nous reconnaissons ces moments d’abandon confiant et de révélation pure au fait que nous ne nous posons plus de questions. Le mental ego s’est calmé, tout occupé à servir par ses fonctions exécutrices le propos du petit enfant qui joue à nouveau avec sa Voix. Ce petit enfant en nous porte aussi la face du vieux sage que nous sommes appelés à devenir.

En clair, plus je pratique la joie du chant avec pleine conscience, plus j’accède facilement à cette sensorialité riche du plaisir qui transcende la souffrance. Là où la pratique du chant en reliance corps.voix.mots peut dépasser une pratique spirituelle plus classique, c’est qu’il engage toutes les dimensions de notre être, à commencer par le corps de chair et le coeur.

Peu d’enseignements mêlent à la fois l’apprentissage du plaisir d’être soi et de créer.

Peu de pratiques facilitent l’accès au réveil (terme que je préfère à éveil) de façon aussi simple et ludique.

Il n’y a aucune condition requise pour vivre dès maintenant le plaisir voire l’extase. Ou s’il en reste une, c’est celle de ne pas rechercher un but. La notion de non effort, le Wu wei chinois, est en effet la base même pour oser se laisser aller dans sa Voix.

Laisser la rivière remonter son cours depuis nos tripes jusqu’à notre gorge, pour émettre le son venu de loin, de très loin, donc forcément pur, juste, dénué de toutes considérations esthétiques ou intellectuelles.

La jouissance ne se commande pas. La manifestation du divin en nous non plus. Mais nous pouvons inviter le plaisir par la connaissance très subtile de notre intime, par l’exploration des sons et des mouvements qui font du bien, nous mettent en joie, font pétiller le corps et le coeur. Cette stimulation consciente laisse place peu à peu à l’érection d’une structure de chant, qu’on enrichit avec le temps, en sachant où aller pour susciter l’ouverture de nos « portes d’éveil ».

Ce plaisir de la révélation et cette voie de « retissage de soi » à travers la création vocale, trouve naturellement des échos dans le shivaïsme du Cachemire, mais également dans le Tao, car il s’agit en somme de redonner place à notre teinte Yin réceptrice de notre voix tandis que notre part Yang reprend activement part à sa manifestation joyeuse.

Au fond, peu importe les mots, seule compte l’expérience joyeuse, libératrice, féconde, de la vibration de notre être profond.

Comme un oiseau sur une branche chante pour rien, laissons-nous nous aussi aller à fredonner juste pour le plaisir de nous sentir vivants, ici et maintenant.

Tout commence avec le petit.

Le tout petit enfant en nous, le tout petit son en nous.

Haut comme haut, bas comme bas, et nous voici enfantant et enfantés par notre Voix.